Zombies (revenants)

Même si le nom zombie vient du créole haïtien, les revenants ont bien sûr toujours existé dans le folklore européen et l’imaginaire collectif occidental.

Les spectres ne ressemblaient pas forcément à des hommes vivants, mais pouvaient au contraire avoir l’allure de cadavres.

Mais il pouvait s’agir de simples cadavres physiques : déjà au ⅠⅠe siècle de notre ère, l’écrivain Lucien de Samosate écrivit que les Grecs et les Romains se représentaient parfois les revenants hantant les cimetières comme des squelettes ranimés couverts de robes noires1Lucien, Philopseudès, p. 32-33, in Lucien, Histoires vraies et autres œuvres, Paris, le Livre de poche, 2003. .

L’imagination populaire occidentale contient depuis très longtemps des créatures analogues aux zombies des films d’horreur modernes. Ces derniers ont abondamment puisé dans ce fonds folklorique. Les historiens de l’art emploient le terme de « transis »2Dans Le Péché et la Peur, Jean Delumeau emploie uniquement ce terme pour désigner les cadavres animés mis en scène par les artistes du Moyen Âge et de la Renaissance. pour désigner les morts-vivants putréfiés mis en scène par l’art macabre de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance.

Peintures et gravures

Au ⅩⅠⅤe siècle, à l’occasion de la forte mortalité engendrée par la grande épidémie de peste de 1348, cette figure populaire du revenant fut récupérée par la peinture dans le cadre des danses macabres. À l’origine, il s’agissait d’inciter les gens, par le spectacle de la pourriture et de l’horreur du cadavre, à se détourner des biens terrestres et à embrasser un idéal moral plus ou moins inspiré du renoncement ascétique des moines. Cependant, à partir du ⅩⅤe siècle, ces peintures et ces dessins macabres se détournèrent de plus en plus de leur but initial et ils se mirent surtout à illustrer des histoires de revenants, sans véritable intention moralisatrice ou religieuse3Jean Delumeau, Le Péché et la Peur, Paris, Fayard, 1983, p. 124-125. .

Aux alentours de 1497, Albrecht Dürer exécuta une gravure intitulée Incabus ou Femme attaquée par la Mort. Cette dernière représente un cadavre animé barbu, commençant à se décomposer, qui agresse une femme épouvantée et tente de soulever sa robe4Marcel Brion, Dürer, Paris, éditions Aimery Somogy, 1960, p. 127. . Dürer grava aussi une représentation du Dit des trois morts et des trois vifs où les trois revenants sont des cadavres putrescents qui, au lieu de donner une simple leçon de morale aux trois jeunes seigneurs, les renversent violemment de leurs chevaux et tentent de les tuer5Jean Delumeau, Le Péché et la Peur, Paris, Fayard, 1983, p. 82. . L’un des plus importants disciples de Dürer, Hans Baldung Grien, s’engagea dans la même veine morbide et il n’hésita pas à surenchérir dans les saynètes macabres. Dans l’un de ses tableaux intitulé Le Chevalier, la jeune fille et la Mort, actuellement conservé au musée du Louvre, il montre un chevalier essayant de soustraire une infortunée jeune fille aux griffes d’un horrible cadavre presque entièrement pourri, dont la chair des membres tombe en lambeaux tandis que son ventre ouvert laisse échapper des entrailles noirâtres. Malheureusement, en dépit de ses efforts, le revenant lui arrache sa bien-aimée en mordant sa robe avec hargne, comme s’il voulait la dévorer. On se trouve donc en présence d’une scène d’épouvante exactement comparable à celles des films de zombies contemporains, d’autant plus qu’on ne peut savoir si le cadavre ranimé est la Mort ou seulement un mort : en effet, il ne possède pas les attributs ordinaires de la Camarde, à savoir la faux, la lance ou le sablier. Dans le même registre, Hans Baldung Grien exécuta aussi une toile intitulée La Mort et la Femme. Une femme est aperçue nue et potelée agressée par un effroyable cadavre en pleine pourriture et au visage réduit à une tête de mort, lequel la mord au menton et s’apprête visiblement à la manger.

Dans l’art macabre de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance, on pourrait signaler d’autres peintures dans le même style. Le Triomphe de la Mort de Brueghel l’ancien, par exemple, représente l’invasion du monde par une armée de revenants surgis de leurs tombes et conduits par la Camarde elle-même. La plupart d’entre eux sont des squelettes ranimés, mais on peut aussi apercevoir dans leurs rangs des cadavres à moitié pourris, encore recouverts de chair ou de peau parcheminée. Sous la direction de leur terrible reine, ils massacrent tous les vivants qu’ils trouvent devant eux. Cette œuvre ne possède pas de vraie dimension religieuse : Dieu en est absent, tout comme la perspective chrétienne de la résurrection de la chair6Jean Delumeau, Le Péché et la Peur, Paris, Fayard, 1983, p. 116 et 124. . On a l’impression que l’artiste s’est juste livré à une rêverie sur le destin de la terre si cette dernière devait affronter la brusque réanimation des défunts dormant dans les cimetières. Par là, Brueghel a véritablement annoncé le thème majeur de multiples films de zombies réalisés depuis 1968 : la conquête de la terre par des revenants qui déciment les vivants.

Contes et légendes

Un conte traditionnel breton recueilli par Anatole Le Braz à la fin du ⅩⅠⅩe siècle relate l’histoire d’un fossoyeur brisant par mégarde la poitrine d’un mort en creusant une tombe. La nuit tombée, le cadavre du défunt lui rend visite dans sa maison, afin de lui reprocher amèrement son acte, et, dans le but de l’impressionner davantage, il lui montre sa poitrine. Celle-ci n’est plus qu’une bouillie verdâtre où émergent des fragments de côtes cassées7Contes et légendes de la France, Paris, Omnibus, 1997, p. 18-21. . Le revenant semble donc en pleine pourriture, il est manifestement davantage matériel que spirituel.

Légende du Dit des trois morts et des trois vifs racontant la rencontre inopinée de trois jeunes seigneurs avec trois morts-vivants plus ou moins putréfiés, de nombreuses illustrations macabres8Jean Delumeau, Le Péché et la Peur, Paris, Fayard, 1983, p. 84-85. Delumeau fait dériver le thème iconographie de la danse macabre d’une croyance populaire du Moyen Âge, qui affirmait que les revenants se rassemblaient parfois la nuit pour danser. .

Notes et références

Notes et références
1 Lucien, Philopseudès, p. 32-33, in Lucien, Histoires vraies et autres œuvres, Paris, le Livre de poche, 2003.
2 Dans Le Péché et la Peur, Jean Delumeau emploie uniquement ce terme pour désigner les cadavres animés mis en scène par les artistes du Moyen Âge et de la Renaissance.
3 Jean Delumeau, Le Péché et la Peur, Paris, Fayard, 1983, p. 124-125.
4 Marcel Brion, Dürer, Paris, éditions Aimery Somogy, 1960, p. 127.
5 Jean Delumeau, Le Péché et la Peur, Paris, Fayard, 1983, p. 82.
6 Jean Delumeau, Le Péché et la Peur, Paris, Fayard, 1983, p. 116 et 124.
7 Contes et légendes de la France, Paris, Omnibus, 1997, p. 18-21.
8 Jean Delumeau, Le Péché et la Peur, Paris, Fayard, 1983, p. 84-85. Delumeau fait dériver le thème iconographie de la danse macabre d’une croyance populaire du Moyen Âge, qui affirmait que les revenants se rassemblaient parfois la nuit pour danser.
Barre latérale